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Tour de Suisse 2024: Interview avec David Loosli

23 min.
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de Fabian Ruch

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Voici plus de dix ans que David Loosli organise le Tour de Suisse. Directeur sportif de la manifestation, il nous parle dans l’interview ci-dessous de l’itinéraire de l’édition 2024 et de la manière dont ce dernier est préparé. Par ailleurs, ce Bernois d’origine nous explique ce que signifie pour lui un bon mélange, ce qu’il pense des épreuves contre-la-montre et des arrivées en montagne – et ce que sont les exigences posées au lieu d’arrivée du Tour de Suisse

Nous aimerions bien parler de la préparation de l’itinéraire du Tour de Suisse. Quand ce processus débute-t-il?

David Loosli: En règle générale, environ une année auparavant, c’est-à-dire dès la fin du Tour de Suisse précédent. Le travail se poursuit sans interruption. Idéalement, les lieux d’étape s’assemblent dans notre planning de manière à nous permettre d’établir un parcours très varié.

Quels sont les principaux aspects dont vous devez tenir compte en tant qu‘organisateur?

Nous concluons des contrats avec les villes et les régions intéressées. Il peut même s’agir de contrats portant sur plusieurs années ou alors de contrats qui prévoient que le Tour de Suisse les traversera à trois reprises en dix ans. De telles conventions nous donnent une certaine sécurité en matière de planification. Cependant, il s’agit aussi de respecter certaines prescriptions. Ainsi, le règlement prévoit qu’une étape ne doit jamais dépasser les 240 kilomètres. En 2024, nous aimerions être présents dans les trois grandes régions linguistiques du pays. Bien évidemment, nos partenaires ont, eux aussi, leurs souhaits. Les sponsors s’intéressent à ce que de belles images passent à la télévision, ce qui est heureusement le cas partout en Suisse. Pendant la semaine, les étapes qui mènent par de grands cols rassemblent bien moins de spectateurs. Il existe un grand nombre de telles choses dont nous devons tenir compte. Il s’agit de composer un mélange aussi attrayant que possible entre aspects sportifs et aspects commerciaux.

Ce travail est-il difficile à réaliser?

C’est toujours à la fois un défi et une activité tout à fait passionnante. Même un directeur sportif du Tour de Suisse ne peut pas faire ce qu’il veut. Il y a des lignes directrices définies par l’Union Cycliste Internationale et nous devons respecter des prescriptions ou du moins certaines représentations très claires liées à la longueur d’une étape. Nous nous basons ainsi sur une durée de quatre à cinq heures alors qu’en montagne, avec une moyenne de peut-être 170 kilomètres par étape, cette durée comprendra une heure de plus. La planification de détail est aussi celle qui prend le plus de temps. Où passons-nous précisément? Avec qui devons-nous nous coordonner? Quel est le plus beau tracé, celui qui garantit un maximum de suspens?

Tour de Suisse

Si vous savez qu’une étape mènera, comme cette année, de Rüschlikon au sommet du col du Gothard: commencez-vous par regarder d’abord sur la carte toutes les possibilités qui existent?

Oui, c’est effectivement la première étape. Désormais, je connais la plupart des routes en Suisse qui entrent en ligne de compte pour le Tour de Suisse. Dans l’exemple que vous avez cité, nous traversons six cantons. Il s’agit d’obtenir toutes les autorisations nécessaires que délivrent les autorités et les corps de police. Je parcours en voiture chaque itinéraire au moins à deux reprises parce qu’il y a beaucoup de choses telles que des passages à niveau ou des descentes que nous devons analyser très précisément. En cours de planification, je me rends au moins trois fois dans les lieux d’étape.

Qu’est-ce qui pourrait être en défaveur d’un itinéraire que vous avez considéré comme idéal sur la carte?

Cela peut avoir différentes raisons. Peut-être qu’une descente est trop dangereuse. Il se peut aussi qu’il ne soit pas possible, pour des raisons liées à la gestion du trafic, d’emprunter une certaine route. Souvent, l’heure et le jour de la semaine auxquels nous sommes en route jouent également un rôle très important. De plus, nous devons souvent contourner d’autres manifestations ou des chantiers.

Tour de Suisse 2024

Pour des raisons de sécurité, une étape se termine au sommet du col du Gothard et non pas dans la vallée.

Quelles leçons avez-vous tirées du terrible accident du coureur suisse Gino Mäder l’an dernier?

Le décès de Gino continue toujours de nous préoccuper. Malheureusement, il est impossible d’éviter de telles tragédies à 100%. Il peut toujours arriver quelque chose. Pour déterminer l’itinéraire, nous nous sommes très forte[1]ment remis en question, mais il ne peut y avoir de sécurité absolue dans les descentes. Malheureusement, l’accident de Gino a montré qu’un certain risque subsiste toujours. Nous pouvons toutefois peut-être anticiper et éviter des situations dangereuses. Cette année par exemple, une étape se terminera au sommet du col du Gothard. On aurait également pu placer l’arrivée dans la vallée, mais après une montée très éprouvante, cela aurait impliqué une autre descente. C’est ainsi très consciemment que nous avons évité un tel scénario.

Qu’est-ce qui était particulièrement important pour vous lors de la planification du Tour de Suisse 2024?

Il est indispensable que nous soyons, si possible, présents dans l’ensemble de la Suisse et que nous n’oublions jamais le Tessin et la Suisse romande. Cette année, nous avons une fois de plus très bien réussi à atteindre cet objectif. Comme je l’ai déjà dit, la sécurité est toujours l’élément le plus important. Puis, il est souhaitable que le vainqueur du Tour de Suisse ne puisse être déterminé que vers la fin du Tour, voire, dans le meilleur des cas, seulement le dernier jour. C’est pourquoi il n’y aura par exemple jamais trois arrivées en montagne lors des trois premiers jours. Un bon tour cycliste se distingue par le fait qu’il permet à tous les types de coureurs de profiter de leurs qualités: des sprinters jusqu’aux grimpeurs, en passant par les spécialistes du contre-la-montre.

Quels sont pour vous les points forts du Tour de Suisse de cette année?

Chaque jour (il rit). En fait, nous ne voudrions pas que l’on nous réduise à ce que l’on appelle une étape-reine parce que cela n’honore jamais assez les qualités des autres étapes. Je pense que nous avons préparé un Tour de Suisse qui sera dur mais néanmoins équitable, ce qui plaira à tous.

«La définition d’une étape de montagne ne relève pas d’une science exacte.»

David Loosli

Les arrivées en montagne sont toujours les plus spectaculaires. Depuis 2023, la Banque WIR est le sponsor du maillot du prix de la montagne. Au fait, quelle est la définition d’une étape de montagne?

La définition d’une étape de montagne ne relève pas d’une science exacte. Il peut également s’agir d’étapes qui ne finissent pas forcément en montagne, mais qui se distinguent par un dénivelé très important. Je pense que le plus important est que l’on puisse dire que les grimpeurs peuvent participer à la lutte pour la victoire. Lorsque nous passons le Gothard par exemple mais que la course se poursuit ensuite sur 100 kilomètres avant l’arrivée, les sprinters ont également une chance de remporter la victoire.

N’est-ce qu’une impression ou les contre-la-montre sont-ils moins populaires que dans le passé ou du moins plus courts?

On ne peut pas généraliser. Ces dernières années, nous avions toujours un ou deux contre-la-montre dans le parcours. Pour les régions, les contre-la-montre sont intéressants parce qu’ils leur permettent d’être plus longtemps présentes à la télévision. Ce qui est vrai, en revanche: les contre-la-montre plus longs, de 40 à 50 kilomètres, ne sont plus tellement à la mode parce qu’ils ne comportent pas de suspens particulier au niveau sportif pour les spectateurs. On ne fait qu’attendre les temps. Je trouve que le contre-la-montre en équipe est une discipline très intéressante et nous voudrions bien en prévoir régulièrement un dans notre itinéraire.

Tour de Suisse 2024

En 2024, le Tour de Suisse fait un petit détour par l’étranger – le départ aura lieu à Vaduz.

Cette année, le Tour de Suisse commence à Vaduz. En principe, vous ne vous rendez pas très souvent à l’étranger. Pourquoi?

Nous avons été trois ans à Sölden, il s’agissait d’un contrat portant sur plusieurs années. Cependant, il ne faut pas oublier que nous sommes le Tour de Suisse et que nous aimerions rouler dans notre pays. Cela répond également aux besoins de nos partenaires et sponsors qui ne sont pas, ou beaucoup moins, présents à l’étranger. De plus, il est encore plus difficile d’obtenir toutes les autorisations nécessaires à l’étranger et d’organiser les mesures de sécurité tout au long du tracé.

«Mon souhait: que le Tour de Suisse se termine chaque année à Berne.»

David Loosli

Dans quelle mesure est-ce important pour vous d’avoir également des stations réputées mondialement telles que Gstaad, Verbier ou Saint-Moritz en tant que partenaires?

En principe, nous essayons de visiter régulièrement des lieux aussi attrayants que possible. Je considère que les arrivées en montagne sont très spectaculaires parce que la Suisse est très riche en merveilleuses régions situées dans les Alpes. Nous étions souvent à Crans-Montana et à Verbier, tout comme à Gstaad. Cependant, il n’est pas nécessaire que nous soyons présents chaque année dans les cinq destinations touristiques de pointe qui se situent souvent en montagne. La Suisse se distingue par une très grande diversité de paysages. Souvent par ailleurs, il arrive que les destinations aient d’autres projets, qu’elles misent par exemple sur des courses de VTT ou d’autres manifestations. Tous les lieux qui accueillent le Tour de Suisse paient pour bénéficier de ce privilège.

Tour de Suisse 2024

En 2024, le Tour traversera également le Tessin. La Piazza Grande à Locarno sera l’un des lieux de départ.

Dans les grandes villes, l’organisation risque d’être encore plus difficile. Trouvez-vous dommage que le Tour de Suisse ne passe pas plus souvent à Berne, Zurich, Genève ou Bâle?

Nous contribuons à la préparation des Championnats du monde qui se tiendront en automne à Zurich. La simple coordination du trafic dans les villes est une affaire extrêmement exigeante. On ne peut malheureusement pas immobiliser le réseau de trams ou bloquer des routes pendant des heures. Une ville compte une centaine de groupements de citoyens qui défendent leurs intérêts. Quant aux commerçants, ils sont loin d’être ravis de voir le centre-ville bloqué pendant des heures. Le Tour de France se termine à Paris, c’est une tradition. Mais la France ne fonctionne pas comme la Suisse, c’est un État très centralisé.

En 2024, le Tour de Suisse se terminera le week-end à Villars où commencera au même moment le Tour de Suisse féminin. Quels sont les avantages de cette façon de procéder?

En premier lieu, ces deux manifestations doivent être de merveilleuses fêtes du cyclisme. Bien entendu, il est aussi très agréable pour nous, les organisateurs, de pouvoir utiliser la même infrastructure au même endroit et au même moment. Nous sommes par ailleurs convaincus que cela est également très attrayant pour les spectateurs qui profitent ainsi au même moment de deux manifestations différentes.

Quels sont vos souhaits pour l’avenir?

Qu’il n’y ait pas d’accidents. Que nous continuions à être présents dans toutes les régions du pays. Que nous puissions davantage rouler dans les grandes villes. Mon souhait serait par ailleurs que le Tour de Suisse se termine chaque année à Berne.

David Loosli

Tour de Suisse

Âgé de 43 ans, David Loosli était lui-même un excellent cycliste professionnel – et continue à faire beaucoup de vélo. Lors du Tour de Suisse 2008, il s’est classé deuxième du classement de la montagne. Le Bernois a participé quatre fois au Tour de France et deux fois au Giro d’Italia et à la Vuelta. M. Loosli organise le Tour de Suisse depuis 2013. Le grand public en Suisse allemande le connaît par ailleurs en tant qu’expert de la télévision SRF commentant le Tour de France. Avec son épouse et ses deux enfants, il vit en Suisse orientale. En été, il adore pêcher et en hiver, il aime skier.

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