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«Nous devons évoluer moralement»

21 min.
PR und Corporate Communication der Bank WIR

de Volker «Vloggy» Strohm

20 articles

La pandémie du Covid-19 modifiera également les modèles d’affaires pour les PME. Andreas M. Walker, futurologue et spécialiste en études prospectives, identifie toutefois également d’autres défis qui se posent à nous. Première partie de notre interview.

Nous analysons rétrospectivement l’année 2020 que personne n’avait imaginée telle qu’elle s’est déroulée. Cette constatation est-elle correcte ou non?

Andreas M. Walker: Il y a bientôt deux décennies que le danger d’une nouvelle pandémie préoccupe les spécialistes. J’ai moi-même décrit un scénario correspondant entre 2003 et 2005 pour un exercice stratégique du Conseil fédéral. Les offices compétents et les spécialistes de risques et de crises avaient beau suivre le phénomène sur le radar des risques – ce n’est que lorsque le risque s’est soudain réalisé que tout le monde a été surpris.

N’aurait-on pas pris ce danger suffisamment au sérieux?

Voici environ 15 ans que nous parlons du «Black Swan», le fameux Cygne Noir, cet événement qui vous surprend sans que vous ayez eu la possibilité de vous y préparer. Nous utilisons également la ­notion de «Black Elephant», l’Éléphant Noir. Il s’agit là d’un événement que tout le monde tient pour impossible alors même qu’il y a de fortes probabilités qu’il intervienne. C’est précisément ce qui correspond à la pandémie: on sait que l’Éléphant Noir existe mais on choisit de l’ignorer, de le refouler – on refuse d’admettre l’évidence.

Cependant, on ne peut refouler que ce que l’on sait effectivement: ce n’est qu’au cours des derniers mois que l’on a vraiment réalisé que des scénarios prévoyant une pandémie avaient déjà été échafaudés. Sommes-nous là en présence d’un déficit de communication?

Oui et non. Permettez-moi de vous retourner la question: comment faites-vous pour que des communications lancées par des spécialistes qui se basent sur des interactions et des éventualités complexes puissent atteindre la grande masse de la population si les médias et les clients se contentent de ne transmettre que des messages simplistes? De plus, toute l’attention était dirigée sur des thèmes tels que «Me too», Greta Thunberg et la protection du climat ou encore le débat sur la numérisation croissante – dans un tel contexte et avec la dramatisation qui y était liée, le scénario de pandémie a tout simplement disparu.

Étions-nous trop naïfs?

(Il rit) Lorsque j’ai déménagé, il y a deux ans, je me suis, moi aussi, débarrassé des classeurs relatifs à la pandémie cités ci-dessus. Pour revenir à votre question: aujourd’hui, nous sommes assez performants lorsqu’il s’agit de scanner l’horizon, d’établir une image radar de l’avenir. Il y a toutefois encore beaucoup de progrès à faire pour être en mesure de dire: «C’est maintenant.»

En Asie, ce sujet était déjà actuel dès ­l’automne 2019. Pourquoi la pandémie nous a-t-elle néanmoins pris par surprise?

La volonté de refouler déjà mentionnée ci-dessus est psychologiquement très forte. Dans ce cas, nous ne voulions pas que ce problème de l’Asie devienne le nôtre. Ceci nous amène aux façons de penser, tout à fait indépendamment de la pandémie: nous continuons à penser de manière beaucoup trop linéaire. Or, des systèmes peuvent exploser très soudainement – dans de tels cas, les disruptions ne sont plus des modifications mais bien des ruptures. Nous ne sommes pas encore conscients de ce fait.

Vous avez parlé de la validité universelle de ce schéma: où en voyez-vous d’autres exemples?

Dans la discussion relative au climat. Dans ce domaine, les prévisions portent sur une période qui va jusqu’en 2050. C’est pourquoi nous nous disons, «oui, un jour, peut-être…» Cependant, «quelque chose» en relation avec l’environnement pourrait également intervenir soudainement, tout comme la pandémie. Nous nous cramponnons – et c’est là que nous faisons un lien avec le monde de l’économie – à des plans et en déduisons une prétendue sécurité de planification. Dans notre culture, nous ne savons pas vraiment comment nous devons réagir aux événements imprévus.

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«La volonté de refouler déjà mentionnée ci-dessus est psychologiquement très forte.»

De nombreuses entreprises et des secteurs d’activité entiers ont précisément perdu cette sécurité de planification durant la crise du coronavirus.

Comme je l’ai précisé ci-dessus, nous sommes habitués à entendre des messages simples: tout ou rien, dans le meilleur des cas avec un résumé d’une seule phrase. La crise du coronavirus a toutefois séparé la population en quatre catégories. Il y a tout d’abord tous ceux qui sont déstabilisés et effrayés et qui, par conséquent, deviennent apathiques: ils choisissent de fermer les yeux, les oreilles et la bouche et espèrent que cela passera sans que l’on y laisse trop de plumes. Il y a ensuite ceux qui crient: «Ce n’est pas de ma faute, quelqu’un d’autre doit en payer le prix – c’est bien pour cela que nous avons l’État.» La troisième catégorie fait preuve de courage et improvise. Au sein de cette troisième catégorie, je distingue la quatrième catégorie qui tente tout d’abord de modéliser l’improvisation.

Peur ou prudence propre à un chef d’entreprise responsable?

Notre société se base sur l’intellect qui croit à l’exactitude de concepts, de budgets et de «business plans». La majorité des chefs d’entreprises actuels a grandi à une époque où les «business plans» comportaient 20 à 50 pages. Aujourd’hui, un modèle standard de «business plan» occupe une page. Aujourd’hui, nous devons faire des essais et tenter de découvrir les choses. Nous parlons là d’un mode de réflexion qui est sans doute étranger à tous ceux qui ont suivi leur formation au cours des dernières décennies précédant l’an 2000.

La prochaine génération de chefs d’entreprise sera-t-elle mieux en mesure de gérer les crises?

Si je me réfère au «Plan d’études 21», j’aurais tendance à dire «oui». Pour la génération la plus récente, le mode de réflexion se développe d’une manière qui lui permettra d’agir de manière plus agile, avec plus d’improvisation. Nous assistons à un véritable changement de paradigme.

Néanmoins, les générations actuelles ont également prouvé qu’elles étaient en mesure de tirer des enseignements des expériences faites et utilisent de plus en plus souvent le terme de disruption.

C’est vrai, par exemple dans le domaine de la numérisation. Voici cinq ans que l’on reconnaît qu’il va falloir réinventer les modèles d’affaires et entièrement réorganiser les entreprises. Cependant, une majorité a de grosses difficultés à imaginer concrètement de quoi il retourne. Maintenant, la disruption a eu lieu – non pas dans le secteur du numérique mais bien sous la forme d’une pandémie.

Revenons brièvement à la catégorie «Ce n’est pas de ma faute, il faut que vous m’aidiez!» dont nous avons parlé ci-dessus. Dans quelle mesure pouvez-vous comprendre cette attitude?

Mon propre modèle d’affaires se base essentiellement sur la tenue de conférences publiques et la participation à diverses manifestations. Je suis, moi aussi, directement touché par la crise actuelle. En même temps, nous vivons dans un État assumant une responsabilité sociale dont la culture prévoit le soutien aux plus faibles. La nouveauté réside dans le fait que la crise du coronavirus touche des acteurs qui ne s’y attendaient pas du tout. Simultanément, il existe également des branches qui profitent, vivent un véritable boom et font d’excellentes affaires. Se mettre à la place de quelqu’un d’autre est quelque chose d’incroyablement difficile – tout comme la prise de conscience que notre société est confrontée aux réalités les plus diverses.

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«La disruption a eu lieu – non pas dans le secteur du numérique mais bien sous la forme d’une pandémie.»

Cela reste par trop superficiel. Que doivent faire ceux qui n’ont plus pu exploiter leur affaire en raison des mesures de lutte contre le coronavirus?

Tout d’abord: il y a eu et il y a encore de nombreux exemples où – dès le printemps 2020 – des restaurateurs ont, par exemple, mis en place des services de livraison à domicile. Cela a permis à la branche des coursiers cyclistes d’enregistrer un véritable boom. Bien entendu, les difficultés apparaissent là où une entreprise fait face à des frais fixes liés à l’immobilier. Je n’ai aucune panacée à proposer. Cependant, il nous faudra certainement travailler sur le thème de l’éthique du travail. En Suisse, l’éthique du travail est particulièrement marquée par les connaissances spécialisées, la persévérance, la bienséance et la ponctualité. Ces éléments répondront finalement à la question: que peut-on considérer comme de l’argent gagné honnêtement? C’est là qu’apparaissent certaines fractures; des chefs d’entreprise sont soudain des victimes, sans leur faute. Ils ont bien fait leur travail – et malgré tout, soudain, tout s’arrête.

Cela signifie-t-il que, moralement, nous ne sommes pas en mesure de faire face à cette situation?

Oui, dans ce domaine, nous devons évoluer et non juger. Et encore oui: il existe vraiment des chefs d’entreprises qui doivent improviser davantage.

Et devenir plus proactifs?

Permettez-moi tout d’abord de préciser: nous avons tous été surpris par le semi-confinement du printemps 2020. En avril et en mai, on me demandait: que va-t-il se passer ­désormais? Ma réponse à l’époque: nous devrons affronter une deuxième vague. On m’a reproché de semer la panique. Or, l’histoire des épidémies et pandémies nous enseigne qu’il y a toujours deux, voire trois vagues.

C’est alors qu’a déferlé la deuxième vague…

… et j’ai l’impression que les gens ont été, pour certains d’entre eux, aussi surpris qu’au printemps. C’est un fait: sans une efficacité durable du vaccin, nous allons devoir vivre encore quelques mois difficiles. Il se peut que nous devions renoncer aux repas de fête jusqu’à fin 2021 ou alors, on trouvera de nouvelles façons de se débrouiller et on apprendra à improviser.

 

Photos: Raffi p.n. Falchi

Quelques informations personnelles

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Andreas M. Walker fait partie des plus éminents futurologues et experts en études prospectives de Suisse. Il est membre honoraire de swissfuture, l’association suisse pour les études prospectives dont il est également l’ancien coprésident. En tant qu’officier spécialisé en analyses stratégiques, il participe depuis 1994 à la reconnaissance précoce de nouvelles crises et à l’élaboration de scénarios d’exercice. De 2003 à 2005, il a travaillé au sein de l’équipe constituée pour l’exercice de direction stratégique du Conseil fédéral dénommé «Épidémie en Suisse». Il a ensuite soutenu divers offices et plusieurs associations et entreprises dans le cadre de leurs préparatifs en vue de couvrir le risque d’une nouvelle pandémie. Actuellement, il travaille de manière intensive sur le thème du contexte de la pandémie du Covid-19 en qualité d’auteur, de partenaire d’interview, d’entraîneur et de chargé de cours .

M. Walker a déjà soutenu à plusieurs reprises la Banque WIR en qualité de conférencier spécialiste en études prospectives. En sa qualité d’ancien directeur de banque, de membre de divers conseils d’administration de PME et de chef d’entreprise, il est familier de la reconnaissance précoce et de la gestion pro­active de modifications stratégiques. Il soutient les entreprises en leur dispensant des conseils ou en organisant des ateliers et des conférences.

Site web Andreas M. Walker

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