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«Les banques doivent changer, rapidement et fondamentalement!»

14 min.
Flury

de Daniel Flury

15 articles

Rino Borini est l’un des principaux experts suisses en matière de Digital Finance (finance numérique). Il enseigne cet aspect de la société numérique auprès de la Hochschule für Wirtschaft de Zurich. Rino Borini est également fondateur et CEO de l’entreprise Financialmedia AG, spécialisée dans les médias, qui publie, entre autres, le magazine économique «Punkt». Dans l’interview ci-dessous, il décrit ce qu’un client attend aujourd’hui de sa banque – et explique pourquoi les banques ne seront peut-être bientôt plus nécessaires.

La Banque WIR adopte un nouveau positionnement et mise systématiquement sur la numérisation – trop tard, trop tôt, juste à temps?
Le train rapide numérique n’a pas encore atteint sa vitesse maximale. Le mécanicien de locomotive, par contre, accélère de plus en plus. Si la Banque WIR a élaboré une stratégie globale qui s’intègre à l’ère numérique actuelle et qu’elle met cette dernière systématiquement en oeuvre, on peut dire que c’est juste le bon moment. Toutefois, cela signifie: ne pas se reposer sur ses lauriers mais sauter dans le train en marche et se réjouir du voyage qui promet d’être exigeant. Il est important que la Banque WIR réussisse à enthousiasmer l’ensemble de ses collaborateurs. La numérisation représente un immense défi mais aussi une incroyable opportunité. Elle permet de profiter d’avantages concurrentiels aussi bien en tant que banque qu’en tant que collaborateur.

Qu’en pensez-vous: les clients des banques attendaient- ils que les banques favorisent la transformation numérique de la finance ou les banques contribuent-elles à ce que leur clientèle traditionnelle soit dépassée?
La situation est tout à fait différente. Ce sont les banques qui sont totalement dépassées. En effet, ce sont bien les clients qui mettent la pression et attendent d’autres prestations de services bancaires. Ces dernières deviennent numériques et «sociales» et prennent place dans la poche du pantalon. Il suffit de regarder comment nous consommons aujourd’hui les nouvelles, comment nous réservons nos vacances, comment nous communiquons de manière mobile avec nos amis, comment nous faisons nos achats et comment nous allons à la quête de l’inspiration. Presque tout se fait de manière numérique! Pourquoi ne serait-il pas possible de traiter certains sujets bancaires également de manière numérique? Très important: la jeune génération n’a encore jamais vu une banque de l’intérieur. Elle a grandi avec Google et compagnie. Il n’est même plus possible d’atteindre les jeunes âgés de 15 ans par Facebook: ces derniers se trouvent désormais sur Snapchat. Ce sont les clients de demain. Y a-t-il des managers de banques qui ont déjà été faire un tour sur Snapchat?

Vous enseignez la finance numérique (Digital Finance) à la Hochschule für Wirtschaft de Zurich. Quel est le contenu de ce cours?
De combien de temps disposez-vous? Je serai bref. Le cours est très large, dure en tout 18 jours – répartis sur un semestre – et se conclut par le Certificate of Advanced Studies (CAS) Digital Finance. Nous entendons soutenir la réflexion sur le leadership numérique, comprendre les nouvelles technologies et savoir comment les clients utiliseront à l’avenir les prestations bancaires traditionnelles. Le nouveau type de réflexion est particulièrement important. La numérisation signifie: tout va vite, très vite, selon une progression exponentielle! Il faut savoir s’adapter. C’est cela que nous tentons d’apprendre à nos étudiants de manière à ce qu’ils puissent donner de nouvelles impulsions à leur activité professionnelle.

De quel environnement proviennent vos étudiants? Y a-t-il parmi eux également des banquiers à l’ancienne qui ont reconnu les signes du temps?
 Il y a de tout. L’étudiante la plus jeune est âgée de 30 ans, le plus vieux a 55 ans. Nos étudiants viennent des banques régionales, cantonales et privées mais aussi des grandes banques et de manière générale des domaines les plus divers. Ils ont tous quelque chose en commun: ils veulent avoir voix au chapitre. C’est la raison pour laquelle le programme du cours est intitulé, de manière non officielle: «Digital Banking Rockstar». Les étudiants veulent en effet participer activement à la conception de la transformation en profondeur qui nous attend. Pour cela, ils ont besoin de la voix d’une star du rock. Finalement, nos diplômés devront être en mesure de générer des avantages concurrentiels car le fait est établi que le secteur bancaire va perdre énormément d’emplois. Les collaborateurs qui parviendront à s’enthousiasmer pour le thème du numérique auront également à l’avenir un important potentiel.

Votre cours traite également de la collaboration entre les instituts financiers traditionnels et les sociétés fintech indépendantes. Peut-on vraiment parler de collaboration? La situation n’est-elle pas plutôt que les grandes banques, voire des consortiums entiers de grandes banques, se contentent de racheter les acteurs les plus innovateurs du secteur Digital Banking pour ensuite réduire la cadence d’innovation au niveau qui leur convient?
Il y a deux aspects à prendre en compte. D’une part, il existe des sociétés fintech qui tentent de percer en solo. Elles sont très rares à réussir mais si c’est le cas, elles remportent d’importants succès. D’autre part, il s’agit de la collaboration entre les start-up et les banques. En effet, les banques ont, en elles-mêmes, un problème d’innovation qu’elles ne peuvent pas résoudre aussi longtemps que les structures fonctionnent selon le schéma «old world». Prenons UBS. Une entreprise âgée de 150 ans travaille déjà très étroitement avec des sociétés fintech dans certains domaines. Certaines d’entre elles n’existaient pas encore il y a à peine trois ans. Si une grande banque achetait et intégrait une très jeune entreprise de ce type, l’innovation cesserait immédiatement en raison des structures internes à la banque, de ses cultures de direction ou de réunion dépassées ou encore du moteur Diesel interne, c’est-à-dire le système IT qui ne permet que peu d’innovation. Par conséquent, il est plus judicieux qu’une banque réfléchisse aux domaines particuliers dans lesquels elle peut offrir une valeur ajoutée au client et qu’elle collabore ensuite étroitement avec une société fintech. Ainsi, tout le monde en profite: la banque, la jeune entreprise et finalement – l’objectif principal – le client. N’oublions pas que c’est bien autour du client que tournent tous ces efforts. Tous les CEO de banques ne l’ont pas encore totalement compris car si c’était le cas, ils agiraient différemment.

Vous défendez la thèse de Bill Gates – certains prétendent qu’elle provient de l’ancien CEO de Wells-Fargo Richard Kovacevich – selon laquelle nous n’avons pas besoin de banques mais uniquement de prestations de services bancaires («Banking is necessary, banks are not») que des entreprises telles que Valora, Apple, Google, Facebook, Amazon ou des plates-formes de crowdfunding pourraient également fournir. Existe-t-il des limites et une telle évolution ne se ferait-elle pas au détriment de la sécurité, de la fiabilité ou encore des rapports de confiance?
Vous faites intervenir un point très important dans le débat: la sécurité et la confiance. C’est l’un des avantages des banques et ces dernières peuvent effectivement faire valoir cet atout. Néanmoins, elles doivent vraiment se bouger! Le client veut d’autres affaires bancaires, plus rationnelles, plus rapides, plus équitables, en un mot: le client veut voir sa qualité de client se transformer. Cependant, ce sont souvent d’autres entreprises qui sont mieux à même de répondre à ce besoin: Valora octroie des crédits dans ses kiosques, Apple lance le Mobile Payment et un jour, il sera possible de faire des virements par Facebook. Cependant, les Suisses, tout particulièrement, veulent de la sécurité et de la confiance et c’est ici que les banques ont un atout à faire valoir – mais elles doivent se transformer, rapidement et de manière fondamentale.

C’est depuis la dernière crise bancaire au plus tard que les instituts financiers se voient imposer des normes de régulation toujours nouvelles et de plus en plus strictes. Ces prescriptions n’ont-elles pas un effet dissuasif sur les entreprises étrangères à la branche qui voudraient proposer des prestations de services bancaires?
Non, pas du tout, bien au contraire: les jeunes téméraires voient la chose différemment. Ils se battent avec passion, une passion qui fait défaut au secteur bancaire classique. Il est important de comprendre que les lois s’appliquent à tout le monde. Mais que se passe-t-il à Londres, Singapour ou Hongkong – et d’ailleurs bientôt aussi en Suisse? Ce sont les régulateurs qui s’adaptent à la nouvelle ère! Les banques qui pensent qu’il leur suffit de se cacher derrière des normes de régulation très strictes seront perdantes. Je parle ici de ce que l’on appelle les «sandboxes», c’est-à-dire des bacs à sable, des champs d’expérimentation légaux – avec des licences bancaires light – en dehors des normes en vigueur. Ces licences bancaires light offrent aux nouveaux prestataires de services bancaires des conditions de lancement idéales. Une fois que ces prestataires sont suffisamment solides et qu’ils ont réussi à convaincre des clients, ils accèdent au niveau supérieur. Regardez aussi ce qui se passe à Londres. Le gouvernement y a édicté une loi qui oblige les banques, sur simple pression sur un bouton, à transférer les relations qu’elles entretiennent avec leurs clients à une autre entreprise si le client le désire. Une telle obligation représente un changement fondamental des règles du jeu.

Tout le monde parle des bitcoins. Le monde entier considère le service de contrôle des habitants de la ville de Zoug comme un véritable pionnier en matière de bitcoins parce qu’il accepte, dans le cadre d’un projet pilote s’étendant du 1er juillet jusqu’à fin décembre, le paiement des émoluments jusqu’à 200 francs avec cette cryptomonnaie. Nous avons posé la question à Zoug: après un mois, le service n’a enregistré qu’un petit nombre de paiements de ce type alors qu’il faut encore se présenter personnellement au guichet en raison des tampons et des signatures à obtenir ou simplement pour venir chercher des cartes d’identité, par exemple. Cet exemple ne sonne pas très futuriste …
La question n’est pas de savoir si 10 ou 1000 personnes profitent de cette possibilité. Premièrement, le bitcoin n’est pas vraiment encore arrivé auprès du grand public, en particulier aussi parce que de nombreux médias ont présenté cette nouvelle monnaie de manière biaisée. Deuxièmement, et c’est bien l’élément principal, l’initiative zougoise est une action marketing. Nous, les Suisses, devrions vraiment apprendre à mieux nous vendre. Les Anglo-Saxons le font de manière exemplaire. Zoug fait tout juste car Zoug est la Crypto Valley du monde – il faut quand même en être conscient! Beaucoup de choses se passent en Suisse mais personne n’en parle. Nous parlons ici d’une technologie qui peut transformer fondamentalement presque tous les secteurs d’activité. Ce qui se cache derrière le bitcoin, c’est justement la technologie révolutionnaire des blockchains. Vous l’aurez compris: cette action du gouvernement zougois était géniale. On ne peut que souhaiter que la Confédération agisse, elle aussi, de manière plus courageuse mais nos conseillers fédéraux préfèrent visiter le Comptoir Suisse ou la Muba …

Les blockchains sont une technologie permettant, par exemple, de transférer des bitcoins d’une personne à une autre. Pour la plupart d’entre nous, le fonctionnement de cette technologie est une boîte noire. Pouvez-vous nous éclairer en quelques phrases?
Eh bien, qui d’entre nous peut expliquer quelle est la technologie à la base de l’e-mail, par exemple? Ou expliquer en quelques phrases ce que signifient les termes smtp, pop, imap? Je tente malgré tout de vous expliquer ce qu’est une blockchain ou, en français, chaîne de blocs: jusqu’à présent, quiconque voulait transférer de l’argent à quelqu’un d’autre nécessitait une banque pour le faire. Cette dernière procède au paiement et examine si toutes les données nécessaires sont correctes. La technologie blockchain procède exactement de la même façon – mais de manière entièrement automatique, plus rapide et à moindre coût. Elle remplace dès lors la banque. On peut essayer de s’imaginer une chaîne de blocs en tant que super fichier qui saisit toutes les transactions effectuées par le biais de son système. La différence: ce n’est pas un serveur central qui se trouve au centre – bien au contraire: tout est simultanément contrôlé, enregistré et actualisé en permanence sur les ordinateurs de tous les participants. Le savoir et la responsabilité sont donc délégués à des machines et partagés par ces dernières. De cette manière, il est très difficile de procéder à des manipulations: pour cela, d’éventuels criminels devraient se procurer l’accès non seulement à un seul ordinateur mais directement à tous les ordinateurs raccordés!

Vous dites que les processus liés aux chaînes de blocs (blockchains) ne peuvent guère être falsifiés ou manipulés. Cette nouvelle technologie ne comportet-elle vraiment aucun danger?
Il va de soi que des dangers existent néanmoins mais changeons pour une fois le point de vue: les e-mails existent depuis environ 30 ans – les e-mails sont-ils pour autant sûrs à cent pour cent? Non! Aujourd’hui encore, de nombreuses personnes tombent dans le panneau d’e-mails factices ou encore de nombreuses adresses e-mails sont utilisées de manière abusive. Personne ne dit rien à ce sujet mais tout le monde connaît les problèmes. Les chaînes de blocs sont une technologie très récente qui a besoin de temps. Bien entendu, des escrocs trouveront toujours des moyens pour falsifier et manipuler. C’est quelque chose de normal. Comme tout cela est très récent et que l’être humain a toujours de la peine avec les nouveautés, il se contente en général de diaboliser ces dernières en tant que dangers. Il faudra du temps pour que cette technologie se développe. En parallèle apparaissent des systèmes de sécurité, de nouvelles règles, etc. Là aussi: nous devrions enfin nous débarrasser de notre scepticisme face à la technologie!

Sûr, rapide, peu coûteux, équitable – comme vous l’avez mentionné, le fait que les transactions soient publiques constitue une autre caractéristique des chaînes de blocs: chacun peut voir où sont virés les bitcoins, les SETLcoins ou les Citicoins et qui en a combien. Est-ce le début de la fin de toute forme de secret bancaire?
Le secret bancaire est mort depuis longtemps. Hans J. Bär, ancien patron de la banque Julius Bär, l’avait déjà annoncé indirectement en 2004. Il faut que nous nous en fassions une raison. Le danger du client transparent existe. Nous laissons partout des traces numériques, par exemple avec la carte Cumulus. Il s’agit là de sujets totalement nouveaux – la sphère privée («Privacy»), l’identité numérique, etc. – qui retiendront toute notre attention à l’avenir. 

Il existe dans notre pays des politiciens qui s’engagent pour ancrer le secret bancaire dans la Constitution. Une perte de temps inutile ou un coup avisé?
Je laisse les sujets politiques aux politiciens. Le particulier Rino Borini donnera ensuite son avis sous forme de bulletin de vote. Pour commencer, ces Dames et ces Messieurs devraient déjà tenter de mettre en oeuvre correctement une initiative acceptée par le Peuple, puis convaincre ce dernier. On avisera ensuite. Fondamentalement, j’aspire à ce que ma sphère privée soit protégée – auprès du médecin, de l’avocat et en ce qui concerne ma situation patrimoniale. Quelle sera cette protection à l’avenir? Je suis ouvert à toutes les propositions.

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