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Le secteur de l’hébergement en pleine mutation

26 min.
Flury

de Daniel Flury

15 articles

La Banque WIR vient de devenir récemment sociétaire de la Société Suisse de Crédit Hôtelier et de convenir d’un partenariat avec l’association faîtière HotellerieSuisse. Nous avons rencontré à Berne Claude Meier, directeur d’HotellerieSuisse, qui nous a accordé l’interview ci-dessous.

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Claude Meier.

Où avez-vous passé vos dernières vacances?
Claude Meier: J’avais besoin de cinq jours de soleil et j’ai trouvé mon bonheur au sud de l’Espagne. Vous remarquerez que la façon dont j’ai effectué ma réservation est typique de notre époque: de manière très spontanée et à court terme. Il est intéressant d’observer comment fonctionne le tourisme ailleurs qu’en Suisse. De manière générale et maintenant que la pandémie est surmontée, je peux dire que le tourisme est à nouveau un secteur de croissance. L’être humain utilise sa mobilité et ressent le besoin de se détendre et de découvrir de nouvelles contrées.

Vous arrive-t-il également de voyager incognito en Suisse en qualité de «détective»?
Cela n’est pas nécessaire. Tous les membres d’HotellerieSuisse font partie très naturellement des établissements innovateurs et attachés au développement durable qui n’ont rien à cacher. Voyager incognito serait par ailleurs contre-productif. Les hôteliers apprécient de pouvoir me transmettre personnellement leurs doléances. Pour moi, il est important d’entendre et de comprendre la réalité sur le front et de présenter les conclusions qui en découlent de manière productive au sein de notre association.

HotellerieSuisse et la Banque WIR ont récemment conclu un partenariat. Quelle importance ce partenariat revêt-il pour vous?
Une importance capitale. La Banque WIR joue d’une part un rôle très important sur le marché des PME et d’autre part, nous avons besoin de partenariats solides dans le secteur des investissements. N’oubliez pas: les besoins des clients, leurs goûts et leurs exigences esthétiques se modifient tous les huit à dix ans. Il faut donc adapter l’aménagement des hôtels et de leurs chambres en conséquence, ce qui est lié à d’importants investissements. À cet effet, une bonne collaboration avec les instituts financiers est essentielle.

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«Une bonne collaboration avec les instituts financiers est essentielle»

Comment vos membres se préparent-ils à répondre à ce besoin d’investissements, en particulier compte tenu de l’augmentation actuelle des taux d’intérêt?
Pour notre secteur d’activité, la pandémie aura eu des effets draconiens qui se feront encore sentir pendant longtemps: les crédits Covid-19 qui ont été accordés doivent être remboursés dans les huit ans qui suivent leur octroi. Pour pouvoir consentir à des investissements, il faut penser à long terme et être en mesure de constituer des réserves. En cela, le secteur de l’hébergement ne se distingue pas d’autres PME. Ce qui rend la situation plus ardue dans notre cas, ce sont les marges relativement faibles qui rendent la constitution de telles réserves beaucoup plus difficile. À cela vient s’ajouter la nécessité absolue de rester en phase avec les modifications intervenant de plus en plus rapidement dans le monde global – je ne mentionnerais que la mobilité, la numérisation et l’approvisionnement en énergie.

Je peux affirmer fièrement que nos membres sont des entreprises qui réussissent à s’en sortir: bien que le marché global se réduise, nous ne constatons aucune diminution du nombre de nos membres – bien au contraire: notre association croît, ce qui démontre que les établissements innovateurs et dévoués au développement durable sont florissants et en mesure de s’affirmer sur le marché.

Le Parlement voudrait que la Société Suisse de Crédit Hôtelier SCH puisse à l’avenir également soutenir des projets d’investissement poursuivis par les hôtels en dehors des régions touristiques avec des prêts à rang subordonné. Pourquoi cela ne va-t-il pas de soi?
Il faut voir cela dans le contexte historique. À l’origine, le tourisme alpin était l’activité que l’on voulait développer. Pendant la pandémie, c’est avant tout le tourisme d’affaires dans les villes qui a soudain disparu. La pression d’élargir le périmètre d’action de la SCH s’est accrue et HotellerieSuisse s’est engagée avec succès pour défendre cette évolution.

On critique souvent le fait que le secteur de l’hébergement n’a pas de représentant au sein du Parlement. Pensez-vous qu’il faille entreprendre quelque chose dans ce domaine?
Les PME n’ont guère de ressources pour s’engager au niveau politique ou à celui de la politique de branches en plus de leurs affaires quotidiennes. Pourtant, il serait important d’intégrer le point de vue des chefs de PME aux débats politiques afin de créer des conditions-cadres favorables aux PME. Nous sensibilisons nos membres à cette problématique et tentons bien entendu de les motiver et de les soutenir à ce propos, également aux niveaux communal et cantonal.

HotellerieSuisse, quant à elle, entretient des rapports très étroits avec les parlements et les autorités. Les échanges avec les femmes et hommes politiques font partie de notre travail quotidien. Ainsi, nous parlons de nos besoins relatifs au marché du travail ou à la politique du tourisme non seulement avec les 60 membres du groupe parlementaire pour le tourisme à Berne, mais avec les politiciens de tous niveaux, qu’ils soient de gauche ou de droite.

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HotellerieSuisse représente environ 3000 membres actifs dans l’hôtellerie et la restauration. Ces membres se distinguent-ils par des différences ou plutôt par des points communs?
Il me semble évident que la société n’est pas suffisamment consciente de la grande diversité des établissements de notre pays: il y a des hôtels une à cinq étoiles, des établissements qui occupent des bâtiments historiques et des châteaux, des auberges de jeunesse, des établissements ultramodernes que vous pouvez vous imaginer et tout cela aussi bien en ville qu’à la campagne. Je considère tout cela comme un immense enrichissement, un trésor qu’il convient de conserver.

Le dénominateur commun qui réunit et met au défi tous ces établissements n’est autre que la question portant sur la façon dont nous allons gérer cette richesse dans dix ou vingt ans. Comment allons-nous maîtriser la mutation démographique, où allons-nous trouver le personnel spécialisé dont nous aurons besoin, ­considérons-nous la numérisation comme une opportunité, sommes-nous en mesure de répondre au besoin de ­durabilité?

HotellerieSuisse exploite trois hôtels-écoles formant 800 apprentis tout en étant partenaire de l’École hôtelière de Thoune et de l’École hôtelière de Lausanne. Ces deux dernières institutions forment environ 4000 spécialistes supplémentaires. Malgré cela, le secteur de l’hébergement continue de souffrir d’une pénurie de main-d’œuvre spécialisée. Comment cela s’explique-t-il et comment inverser la tendance?
Il n’existe pas de solution miracle. La mutation démographique dont j’ai déjà parlé implique que toujours moins de personnes participent à la vie active alors que le nombre des personnes à la retraite ne cesse d’augmenter. N’importe quelle branche économique doit se demander comment elle peut gérer cette diminution du travail en tant que facteur de production. Pour notre branche qui est essentiellement tributaire de la main-d’œuvre, de bonnes réponses à cette question sont tout à fait déterminantes. À mon avis, l’état d’esprit de l’employeur, la culture d’entreprise, l’estime apportée aux collaborateurs et le dépassement de la culture hiérarchique avec un patron omniprésent sont autant d’éléments centraux. Ce sont tout spécialement les collaborateurs plus jeunes qui demandent davantage de participation et sont prêts à assumer des responsabilités.

Le système de formation et de distinction «Entreprise formatrice TOP», qui a également été mis en place au niveau national dans l’hôtellerie et la restauration en 2020, soutient les établissements dans le cadre de leurs efforts d’améliorer la qualité de la formation. Les échos que nous avons obtenus en la matière montrent que nous sommes sur la bonne voie. Les prestations de rémunération volontaires de l’entreprise («Fringe Benefits») sont également très importantes. Là aussi, divers projets sont en cours.

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«Le dépassement de la culture hiérarchique avec un patron omniprésent est central»

Les conditions de base sont d’ores et déjà en place: la branche est attrayante pour les jeunes et les personnes changeant d’orientation, bénéficie d’un certain flair international, permet de travailler avec des gens afin de leur fournir un sentiment de bien-être et comporte d’importantes possibilités de carrière – où ailleurs peut-on endosser à 30 ans un poste de direction? – et 50% des établissements sont des entreprises formatrices et peuvent donc former eux-mêmes leurs collaborateurs et leur proposer de développer en permanence leurs compétences.

La nécessité urgente d’agir n’est-elle pas encore plus élevée? Conformément au baromètre 2022 des apprentis, presque la moitié des apprentis dans les professions de l’hôtellerie et de la restauration n’entendent pas continuer à travailler dans la branche à la fin de la formation.
Nous nous efforçons d’inverser la tendance! En Suisse, un groupe de formation de 5000 étudiants, unique en son genre dans le monde entier, est en train de se constituer avec HotellerieSuisse en tant qu’association partenaire. Outre nos trois hôtels-écoles de Pontresina, Interlaken et Martigny, l’École hôtelière de Thoune et l’École hôtelière de Lausanne EHL avec ses succursales de Lausanne, Passugg et Singapour vont également être intégrées à ce groupe. L’objectif est de proposer sous un même toit – l’EHL Group – l’ensemble de la variété de formations qui va de l’apprentissage de cuisinier jusqu’au bachelor. Il s’agit là d’un investissement dans le marché de la formation qui cherche sa pareille.

Ne peut rester compétitif que celui qui est en mesure de présenter de nouvelles idées. En Suisse, la majorité des hôtels sont des sociétés anonymes avec un conseil d’administration ne comptant qu’un seul membre qui n’est autre, en règle générale, que le directeur. Si le conseil d’administration compte plusieurs personnes, il s’agit souvent de membres de la famille. Les conditions sont-elles ainsi idéales pour garantir l’exercice d’une certaine surveillance et l’apport de nouvelles idées?
La Suisse est un pays de PME et offre d’assez bonnes conditions à des personnes faisant preuve d’esprit d’entreprise. Souvent, il s’agit de raisons individuelles que le propriétaire gère également au niveau opérationnel. Je pense qu’il n’est pas forcément nécessaire d’être en mesure de tout faire et de tout savoir et que c’est précisément pour cette raison qu’il est très important de pouvoir compter sur un sparring-partner, un coach ou un conseiller en mesure de fournir une vision externe et des compétences complémentaires. Il faut absolument de nouvelles idées dans un environnement qui se transforme très rapidement. Cela fait deux ans qu’HotellerieSuisse propose ainsi un programme de coaching avec le soutien du SECO. Un pool de 150 coachs est à disposition des établissements qui souhaitent aborder avec un de ces coachs un développement relatif à un thème bien spécifique pendant une période de six jours ouvrables. Plus de 200 membres ont déjà profité de cette offre. Nous nous efforçons à encourager encore d’autres établissements à saisir cette chance d’obtenir une vision externe sur leur propre fonctionnement au cours du programme.

Pour les voyageurs et les touristes, les principes du développement durable deviennent de plus en plus souvent un critère de choix. Une chance pour la Suisse?
Il ne suffit plus d’utiliser des produits locaux et d’éviter une trop grande production de déchets. Nous avons observé par exemple que les grands groupes d’entreprise ne choisissent plus certains hôtels à Bâle si ces derniers ne répondent pas à tout un catalogue d’exigences écologiques, sociales et sociétales. La seule absence d’un label de formation TOP peut alors avoir pour conséquence qu’un hôtel soit laissé de côté. Dans la rubrique «Sustainability Hotel» de notre site Web, nous donnons des conseils aux établissements quant à la façon d’aborder une amélioration de leur compatibilité avec les principes du développement ­durable.

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«L’hôtellerie saisonnière traditionnelle va subir une modification massive»

Cet hiver nous l’a démontré une fois de plus: il est de moins en moins certain que la neige soit au rendez-vous en hiver et le tourisme hivernal est donc en danger. Le processus de mutation des domaines skiables vers les destinations estivales est-il une évolution qu’il convient désormais de prendre en compte?
L’hôtellerie saisonnière traditionnelle va subir une modification massive. Les établissements seront nombreux à devoir adapter leurs modèles d’affaires en conséquence et abandonner le caractère saisonnier de leur activité. Avantage pour les employeurs comme pour les employés: il sera possible de conclure davantage de contrats de travail à durée indéterminée. Une des conditions à remplir pour cette évolution est que tous les acteurs du secteur tirent sur la même corde. Il ne servira à rien de maintenir l’exploitation des remontées mécaniques si les hôtels ferment leurs portes. En anticipant correctement les besoins et en proposant les nouvelles prestations de service et les nouveaux univers de découvertes et d’interactivité qu’il sera également possible de financer, les établissements du secteur de l’hébergement auront en main de très bonnes cartes!

Photos: Foto Frutig

HotellerieSuisse

Fondée en 1882 en tant qu’association suisse des hôteliers, HotellerieSuisse représente, en sa qualité d’association faîtière, les intérêts des établissements suisses de l’hôtellerie innovateurs s’orientant aux principes du développement durable. Ses 3000 membres environ représentent 2000 hôtels, 600 restaurants et 400 «affiliés». Les 2000 hôtels représentent 40% du marché de l’hébergement et 75% des nuitées. Les prestations de services fournies par l’association portent, entre autres, sur la promotion de la qualité et du savoir-faire auprès des membres et sur leur soutien pour une gestion de leur établissement orientée vers l’avenir. En tant qu’association partenaire de l’École hôtelière de Thoune, de trois hôtels-écoles et de l’École hôtelière de Lausanne EHL, HotellerieSuisse s’engage également de manière déterminante dans la formation de la main-d’œuvre spécialisée.

Le Lucernois Claude Meier (44) est directeur d’HotellerieSuisse depuis bientôt sept ans. Cet économiste de formation a tout d’abord travaillé dans le secteur de la communication politique avant d’assumer des fonctions de direction dans diverses associations de la santé et représentant les employés de commerce. Il est membre du conseil de fondation de la Fondation EHL et membre du comité de la Fédération Suisse du Tourisme FST. M. Meier cite les voyages parmi ses hobbies préférés.

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